Chitra Banerjee Divakaruni - Ma soeur, mon amour
Editions : 10/18 - Traduction : de l'anglais (Etats-Unis) par Françoise ADELSTAIN - Titre original : Syster of my Heart - Nombre de pages : 351
4ème de couverture :
Sudha et Anju, deux cousines élevées comme des sœurs dans la maison familiale de Calcutta, sont inséparables. L’une est belle, l’autre pas ; l’une est patiente et douce tandis que l’autre n’est que révolte et scepticisme. Pourtant, devenues « jumelles de cœur » dès la naissance, elles sont unies par une affection d’une force peu commune.
Le Bidhata Purush, maître des destinées, ne s’est pas montré tendre envers elles. La mort de leurs pères les a fait naître, les marquant aux yeux de tous d’une tache indélébile. Sous le regard de leurs trois « mères », leur amitié va être confrontée aux épreuves du mariage forcé et au poids d’un lourd secret. Chacune prête sa voix à ce conte moderne et passionné où se fondent les senteurs, saveurs et mythes de l’Inde, la force de l’amitié et les chaînes des traditions.
Mon avis :
Touchant, beau, triste, magique, poignant, tendre, emprunt de douces légendes et de dures réalités : c'est un livre à lire !!! Inutile de préciser que, comme pratiquement tous les livres que j'ai lus de cette auteure, j'ai adoré ce livre !!
Avec ce livre, et à l'aide d'une prose très imagée, lyrique et réellement très belle, l'auteure m'a emportée dans un pays où les mangues sèchent sur le toit des maisons exhalant leur senteur aigre et épicée, où les saris, très colorés, sont éblouissants et scintillants, où les légendes sont si réelles qu'elles en deviennent un mode de vie, où la chaleur favorise la sensualité... Mais également un pays où les veuves sont tenues pour "moralement responsables" de la mort de leur mari et, à ce titre, sont condamnées à une vie de labeur, sans joie, morne (et parfois deviennent même servantes dans le foyer de leur belle-famille), où il est courant d'avorter lorsque l'enfant attendu est une fille (dans certains états de l'Inde, les échographes ont d'ailleurs interdiction d'indiquer le sexe de l'enfant à naître tant le déficit des naissances de filles est préoccupant), où le regard de la communauté détermine nos choix, nos actes et parfois même nos pensées, où le poids des traditions, des castes, des croyances empêchent toute liberté (pour les femmes particulièrement), où les mariages d'amour ne sont pas favorisés...
C'est donc dans cet univers de contrastes, que Chitra Banerjee Divakaruni m'a invitée à faire la connaissance de deux cousines : Sudha et Anju. Sudha est très belle, très douce, attentive aux autres et aux légendes. Anju est quelconque, révoltée, un peu trop sûre d'elle et opaque à toute croyance ancienne... Alors qu'elles sont si différentes, elles sont unies par un amour fraternel à toute épreuve...
"Il y a d'autres raisons pour lesquelles je ne pourrais jamais détester Sudha. Un jour j'en ai fait la liste.
Parce que c'est la personne la plus belle que j'aie jamais connue, exactement le portrait des princesses dans les contes de fées que nous racontent Pishi, avec sa peau brun chaud, la couleur même du lait d'amande, ses cheveux doux comme les nuages de la mousson, qui lui courent le long du dos, et ses yeux plus doux que tout le reste.
Parce qu'elle sait poser sa main sur mon bras quand je suis prête à maudire le monde pour sa stupidité, et qu'alors j'ai l'impression de boire un verre d'eau pure et froide un jour de chaleur.
Parce qu'elle croit à la magie, aux démons, aux dieux, et qu'il faut faire un voeu quand on voit une étoile filante, ce que je n'ai jamais pu faire.
Parce qu'elle est la meilleure conteuse, meilleure même que Pishi. Elle s'empare de vieilles légendes et en fabrique des nouvelles en nous insérant dedans. Nous, Anju et Sudha, au beau milieu des reines démoniaques, des princes charmants et des animaux parlants.
Parce que je l'ai fait naître au monde et que, par conséquent, je dois, coûte que coûte, la rendre heureuse." (10/18 - p.28-29)
Chacune à leur tour, chapitre après chapitre, Sudha et Anju nous racontent leur vie : une enfance tendre, complice, certes, privée de pères partis à l'aventure et morts en chemin, mais entourée de trois mères aimantes. Gouri Ma, tout d'abord, la mère d'Anju : si responsable, si aimante, si forte aussi mais qui se tue au travail à petit feu pour faire vivre toute la maisonnée... Nalini ensuite, la mère de Sudha, si fragile mais qui se lamente sans cesse sur sa pauvre destinée et cherche par dessus tout à conserver sa respectabilité même si c'est au détriment du bonheur de sa fille. Et puis Pishi, la douce Pishi, la belle-soeur, conteuse de tant de belles histoires alors qu'elle a une vie sans espoir, ayant été forcée, à la mort de son mari, de vivre chez son beau-frère parce qu'il est impossible, pour une veuve, de réaliser ses rêves...
Vient ensuite le temps de l'adolescence : heureuse avec les premières escapades interdites, les premiers émois amoureux, les premières révélations et la première fêlure...
"Mais dans la chaleur de la nuit, enchevêtrée dans mes draps trempés, mon coeur me fait toujours aussi mal, comme si quelqu'un l'avait déchiré en deux, puis avait recousu les bords déchiquetés avec de ces grosses aiguilles qu'utilisent les muchis ambulants pour réparer nos sandales. Je ne cesse de me demander pourquoi Sudha a émis l'idée qu'elle n'était peut-être pas celle que je croyais. Que s'est-il passé, qui a pu à ce point la faire douter d'elle-même ? De nous ? Et pourquoi, pour la première fois de notre vie, n'a-t-elle pas partagé avec moi quelque chose de si important ?" (10/18 - p.64)
Puis c'est l'entrée brutale dans la vie d'adulte qui rappelle à ces jeunes filles que la vie n'est pas un conte de fées : premier sacrifice pour l'amour d'une soeur, premier chagrin d'amour, mariages, jalousie, acharnement d'une belle-mère sur sa bru qui ne semble pas être capable de lui donner un petit-fils (et si le problème venait du fils ? En voilà une idée saugrenue ! ), éloignement de son pays natal pour Anju qui se retrouve alors loin de sa "soeur"...
"C'est tellement plus commode, les lettres, tellement moins compliqué que les gens. On peut y ramener le monde à la dimension d'une lucarne, on peut l'idéaliser comme une photo retouchée. Encore que ce soit plus vrai de mes lettres que de celles d'Anju, qui vibrent de ses sentiments et de ses opinions. Mais comme ceux-ci ne s'expriment que sur une page blanche, rectangulaire et silencieuse, je peux m'en délecter sans avoir à me soucier des blessures que, par sa franchise, Anju pourrait infliger." (10/18 - p.200)
En résumé, ce livre constitue un merveilleux conte sur les femmes indiennes, leur désir d'indépendance, de vie, d'amour... ;-)
A lire absolument ;-)
Plaisir de lecture :