Yoko Ogawa - Le musée du silence
Editions : Actes Sud (Babel) - Titre original : Chinmoku Hakubutsukan -
Traduction : du japonais par Rose-Marie MAKINO-FAYOLLE - Nombre de pages : 316
4ème de couverture :
Un jeune muséographe vient d'entrer en fonction dans un manoir aux confins du monde. Sous la direction d'une vieille femme plutôt étrange, il devra recenser, agencer, mettre en scène une véritable collection d'objets, de reliques du quotidien, de vestiges d'une intimité disparue et pourtant soutirée depuis des années aux défunts du village voisin. Car ces objets ont un seul point commun : ils furent tous volés quelques heures après la mort de leur propriétaire...
Empreintes du temps qui passe, variations autour de la mémoire, accumulations, obsessions : la mission de cet homme est complexe car le musée du Silence devra être à la hauteur des souvenirs de la vieille dame.
Née en 1962, Yoko Ogawa vit au Japon où elle se consacre totalement à l'écriture. Désormais traduite dans de nombreuses langues et couronnée par plusieurs prix littéraires, son œuvre est publiée en France par Actes Sud.
Mon avis :
"- J'ai décidé, chaque fois que quelqu'un meurt au village, de me procurer l'objet qui caractérisait au mieux la personne. Comme vous avez pu le voir, c'est un endroit insignifiant où l'on ne meurt pas tous les jours. Mais cette collection est une affaire sérieuse. Je l'ai compris dès que je l'ai commencée. C'était peut-être trop lourd pour une enfant de onze ans. Mais j'ai persévéré pendant toutes ces années. Tout d'abord, la première cause de difficulté était que je ne me satisfaisais pas d'objets ordinaires. Je ne pouvais même pas tricher en rassemblant des objets de pacotilles tels un kimono porté une ou deux fois, un bijou rangé dans un tiroir ou une paire de lunettes réalisée trois jours avant de mourir. Vous voyez, je cherche l'objet qui soit la preuve la plus vivante et la plus fidèle de l'existence physique de la personne. Ou alors, quelque chose empêchant éternellement l'accomplissement de la mort qui fait s'écrouler à la base cet empilement si précieux des années de vie. Cela n'a rien à voir avec le sentiment contenu dans le souvenir. Et bien sûr, tout enjeu financier en est exclu." (Actes Sud / Babel - p.45-46) Etrange musée en vérité que celui qui doit recueillir ces objets représentatifs de chaque défunt de ce village et c'est au muséographe qu'est confiée la lourde tâche de référencer, étiqueter, documenter et exposer cette précieuse collection dans un nouveau musée !! Plus étrange encore est l'acceptation tranquille du muséographe concernant ce qui me paraît, à moi, totalement irréel : non seulement il accepte l'idée de ce musée et l'étrangeté de cette collection ne semble ni le choquer outre mesure ni le rebuter mais il accepte également de devenir le nouveau collecteur de ces reliques peu orthodoxes à la place de la "vieille dame", devenue trop vieille et trop faible pour récupérer, à chaque décès, une nouvelle trace de la vie qui s'est en allée...
Dès les premières pages, j'ai été intriguée par ce récit : l'histoire se déroule dans village un peu perdu, qui ne semble pas très fréquenté quoique quelques touristes s'y arrêtent tout de même à la belle saison. Malgré une visite guidée du village, il est difficile de situer cette bourgade : une place assez centrale et animée, de petites maisons bien entretenues, une mairie, un parc, un hôpital, une gare, un stade de base-ball, une forêt à la lisière du village... nous n'en saurons pas plus. J'imagine assez bien un village japonais mais cela pourrait être n'importe où ailleurs : pourquoi pas en Autriche (non, je sais j'exagère, là) ? Un endroit apporte tout de même une note insolite au village : une clôture percée de trous en forme de S !!! Ces derniers permettaient de mesurer la taille des oreilles des contribuables potentiels afin de déterminer s'ils devaient ou non payer l'impôt !!!
En ce qui concerne les personnages, là encore, de belles descriptions les présentent mais ils n'ont pas de nom... Ainsi, nous avons la "vieille dame", à qui appartient cette étrange collection et qui a engagé le muséographe : assez acariâtre et peu sympathique, elle mène son petit monde avec fermeté malgré son grand âge et sa frêle apparence et se fie en toute confiance à son "almanach" pour toute tâche à effectuer. Sa fille adoptive, la "jeune fille" est au contraire très avenante et semble très sympathique, toujours pleine de bonne volonté. La "jardinier", personnage assez énigmatique qui ne se contente pas de jardiner deviendra un confident pour le "muséographe", narrateur de l'histoire et personnage central à qui est confiée la réalisation du musée... D'autres personnages (non moins étranges) traversent cette histoire mais je vous laisse le plaisir de les découvrir...
Comme je vous le disais, j'ai donc été très vite intriguée par le récit et j'ai lu les premières pages avec facilité et plaisir mais, peu à peu, le côté un peu morbide, l'absence systématique de réponse, l'ambiance lourde et pesante (comme par exemple, lors des séances d'archivage, tête à tête entre la vieille dame et le muséographe : "Pourquoi avais-je l'impression que la pluie ne cessait de tomber tout au long de nos entretiens ? Il est vrai que le mauvais temps persistait, mais alors qu'il y avait certainement des moments où le soleil apparaissait, le bruit de la pluie coulait à chaque instant au fond de sa voix lorsqu'elle parlait des objets hérités. C'était un peu comme un voile dont elle s'entourait afin que personne ne nous dérangeât dans le travail qui nous occupait tous les deux." (Actes Sud/Babel - p.110) ), les non-dits (pourquoi le "Grand frère" ne répond pas aux lettres du muséographe ? Pourquoi, lorsque le muséographe décide de prendre quelques jours de congés n'y a-t-il aucun train ? ...), le mystère continuel et l'atmosphère étrange ont émoussé mon enthousiasme et, malgré l'arrivée de meurtres inattendus qui ont relancé mon intérêt (mais dont l'épilogue me laisse bien perplexe), je dois avouer que j'ai été, au final, assez déçue par cette lecture : depuis le temps que je souhaitais découvrir Yoko Ogawa, ce n'était peut-être pas le roman adéquat...
Ceci dit, cette impression d'étrangeté et, presque, d'oppression à la lecture, je l'ai eu avec d'autres livres d'auteurs japonais (comme par exemple La ballade de l'impossible de Murakami) : peut-être suis-je trop éloignée de la culture japonaise pour entrer dans cet univers mais, croyez-moi, je vais tout de même persister dans ma découverte de la littérature japonaise... ;-)
Concernant le style, l'écriture est claire, très plaisante et facile à lire. Les descriptions des objets, des personnes, de la nature et des saisons qui passent sont très précises et très belles.
Une petite déception donc pour moi mais Yoko Ogawa est incontestablement une auteure à découvrir ;-)
Plaisir de lecture :
D'autres avis : emiLie, Laurence (Biblioblog) et Papillon.
J'ai lu ce livre suite à l'initiative de Pimprenelle qui, tous les deux mois, nous invite à découvrir un auteur... Ce mois-ci, Yoko Ogawa était à l'honneur et je vous invite à aller voir les autres articles des blogolecteurs référencés par Pimprenelle.
De plus, cela m'a permis d'honorer le challenge Caprice organisée par Cocola. Rappelez-vous, mon challenger était luCa et il m'avait mis au défit de lire ce livre !! Mission accomplie !! ;-)