Éditions : Folio Poche - Traduction : de l'anglais par Josette CHICHEPORTICHE -
Titre original : Secret Daughter - Nombre de pages : 458

4ème de couverture :
Lorsque Kavita, pauvre paysanne indienne, enfante pour la deuxième fois une fille, c’est une catastrophe pour son mari et sa famille. Et, la mort dans l’âme, la jeune mère se résout à confier son nourrisson à un orphelinat. De l’autre côté de la terre, aux États-Unis, Somer et Krishnan, médecins tous les deux, elle américaine, lui indien, ne peuvent pas avoir d’enfant. Ils recueillent la fille de Kavita, la nomment Asha, lui offrent amour, éducation et avenir. Un jour, celle-ci, devenue grande, veut connaître ses origines. Sa quête ne sera pas facile et mettra en péril l’équilibre précaire de sa famille.

Shilpi Somaya Gowda nous offre une œuvre poignante, réflexion subtile sur l’adoption et la construction d’une identité, sans oublier de nous dépeindre les couleurs variées d’une Inde aux multiples visages.

Mon avis :
1984, Dahanu, petite ville de l'état du Maharashtra en Inde. Kavita donne naissance à une petite fille pour la deuxième fois. Pour que sa fille ait une chance de vivre, elle décide de se rendre en cachette à Bombay et de la confier à un orphelinat. Là, elle pourra grandir, aller à l'école et, si elle a de la chance, sera adoptée par une bonne famille.
1985, San Francisco, Californie. Après une énième fausse couche, Somer est en pleine dépression : pourquoi Krishnan et elle n'auraient-ils pas le droit d'être parents ? Après de nombreuses hésitations, ils décident d'adopter un enfant, une petite fille indienne appelée Asha, ce qui signifie "Espoir".
2003, Asha a 19 ans et souhaite en apprendre un peu plus sur ces origines : elle décide alors de partir en Inde chez ses grands-parents...

La fille secrète est un roman très intéressant sur l'adoption et l'incompréhension de l'enfant adopté qui se sent rejeté par ses parents biologiques mais aussi sur la difficulté d'être parents avec son lot de joies, d'insatisfactions, de peurs et d'incertitudes... En toile de fond, le roman s'attache à condamner la difficulté de naître femme en Inde en pointant du doigt le scandale des naissances (ou plutôt des non naissances) de petites filles dans le deuxième pays le plus peuplé du monde.

Les personnages de ce roman sont fouillés, complexes et, malgré ou à cause de toutes leurs faiblesses, attachants par bien des côtés. Shilpi Somaya Gowda a particulièrement réussi les portraits de ses trois personnages féminins principaux.
Asha nous donne la vision de l'enfant abandonné. C'est une petite fille puis une jeune fille très attachante qui ne comprend pas l'abandon de ses parents biologiques, et qui, malgré tout l'amour que lui donnent ses parents adoptifs veut comprendre et part à la recherche de son identité. En Inde, elle plonge au coeur de son pays d'origine et, étudiante en journalisme, va à la rencontre des plus pauvres dans le bidonville de Dharavi à Mumbai. Elle y apprend que "l'Inde n'aime pas ses enfants de la même manière" (Folio Poche - p. 315) et que pour mille garçons qui naissent, seules quelques neuf cent filles voient le jour. Ses recherches vont peu à peu l'amener à accepter ses origines, à comprendre aussi le choix de sa mère...

Somer, elle, c'est la vision de la mère adoptive. Elle a d'abord beaucoup de mal à se résigner au fait qu'elle ne portera jamais elle-même d'enfant puis, lorsque Asha vient compléter le foyer, elle doute, étouffe sa fille de son amour, craint son éloignement. Son apprentissage de mère est loin d'être un long fleuve tranquille. Lorsque sa fille lui avoue son intention de découvrir ses origines, elle se braque, ne comprend pas, pense que sa fille va s'éloigner d'elle. Elle qui n'a jamais voulu connaître les traditions de son mari ne souhaite pas que sa fille s'y confronte...Elle va devoir apprendre à accepter...

Kavita est la mère biologique d'Asha, celle qui, pour sauver sa petite fille, l'abandonne dans un orphelinat. Jamais, elle ne pourra oublier celle qu'elle avait surnommée "Usha", ce qui signifie "Aube", même après avoir donné naissance à un fils...

C'est un livre qui se lit aisément, d'une seule traite : l'écriture est fluide, la lecture agréable et le propos intéressant... A recommander. ;-)

Morceau choisi :
"Elle est arrivée dans la cabane abandonnée à la tombée de la nuit, dès qu'elle a senti les premières contractions, celles qui ne trompent pas. Elle n'a prévenu personne. Il n'y a rien dans la cabane, à l'exception de la natte sur laquelle elle est allongée à présent, les genoux repliés sur la poitrine. Lorsqu'elle est assaillie par la seconde vague de douleur, Kavita enfonce ses ongles dans ses paumes et mord le morceau de bois entre ses dents. [...]
La contraction suivante arrive si brusquement qu'elle lui coupe le souffle. La sueur a dessiné des ronds noirs et humides à travers le corsage en coton de son sari, tendu à la hauteur des minuscules attaches entre ses seins. Par rapport à sa dernière grossesse, sa poitrine a bien plus forci, cette fois. [...] Elle a accueilli ce changement comme une bénédiction, car, pour son mari et les autres, cela signifiait que le bébé serait un garçon.
Une peur soudaine l'étreint, cette même peur suffocante qu'elle a ressentie pendant toute sa grossesse. Et s'ils se trompent ? Sa seconde prière, la plus désespérée des deux, c'est de ne pas mettre au monde une fille. Elle ne pourrait pas le supporter à nouveau." (Folio Poche - p.15-16)

A découvrir... ;-)

Plaisir de lecture :

Déficit de femmes en Inde :
Le dernier recensement démographique en Inde fait état d'une moyenne nationale de 933 femmes pour 1000 hommes (861 femmes pour 1000 hommes dans certains Etats riches, comme l'Haryana). Malgré la loi qui interdit l'utilisation de l'échographie pour déterminer le sexe de l'enfant et, bien entendu, proscrit l'avortement pour motif de sexe féminin, il apparaît que le nombre d'avortements de foetus féminin tend à croître.
Les raisons de ces avortements sont connues : une fille coûte de l’argent (pour la dot notamment) et un proverbe indien dit même que : "Élever une fille c’est comme arroser le jardin de son voisin". En revanche, un garçon, c'est l'assurance de la pérennisation du patronyme et de la terre dont il héritera...
Selon certaines estimations, chaque année, un million de filles disparaitraient des registres faute d'être "rentables" : la moitié tuée in utéro, les autres 500 000 ne survivant pas à leur première année (elles sont tuées ou délaissées jusqu’à ce que mort s’en suive).
Cette diminution du nombre de femmes est problématique et les jeunes hommes indiens doivent maintenant et de plus en plus rechercher une épouse à l'étranger lorsqu'ils ne font pas appel à des circuits illégaux fournissant des jeunes femmes enlevées de force à leur famille !! (source Wikipedia : ici et ici)

Shilpi Somaya Gowda - La fille secrète

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