Shan Sa - La joueuse de go

Éditions : Folio poche - Nombre de pages: 326

4ème de couverture :
Depuis 1931, le dernier empereur de Chine règne sans pouvoir sur la Mandchourie occupée par l'armée japonaise.  Alors que l'aristocratie tente d'oublier dans de vaines distractions la guerre et ses cruautés, une lycéenne de seize ans joue au go.  Place des Mille Vents, ses mains infaillibles manipulent les pions.  Mélancolique mais fiévreuse, elle rêve d'un autre destin. "Le bonheur est un combat d'encerclement". Sur le damier, elle bat tous ses prétendants.
Mais la joueuse ignore encore son adversaire de demain : un officier japonais dur comme le métal, à peine plus âgé qu'elle, dévoué à l'utopie impérialiste. Ils s'affrontent, sans un geste, jusqu'au bout, tandis que la Chine vacille sous les coups de l'envahisseur qui tue, pille, torture.

Mon avis :
"Place des Mille Vents, les joueurs couverts de givre sont pareils aux bonshommes de neige. Une vapeur s'échappe des nez et des bouches. Des aiguilles de glace, poussées sur le rebord de leurs toques, pointent vers la terre. Le ciel est de nacre, le soleil, cramoisi, tombe, tombe. Où se situe le tombeau du soleil ?
Quand l'endroit s'est-il transformé en lieu de rendez-vous des amateurs de go ? Je l'ignore. Les damiers gravés sur les tables de granit, après des milliers de parties, sont devenus visages, pensées, prières.
Serrant dans mon manchon une chaufferette en bronze, je tape du pied pour me dégeler le sang. Mon adversaire est un étranger venu directement de la gare. Tandis que la lutte s'intensifie, une chaleur douce me pénètre. La lumière du jour décline et les pions se confondent. Soudain, quelqu'un craque une allumette. Une bougie apparaît dans la main gauche de mon adversaire.
[...]
La lune est absente cette nuit, le vent gémit comme un nouveau-né. Là-haut, un dieu affronte une déesse en bousculant les étoiles.
L'homme compte et recompte les pions. Battu de dix-huit points, il pousse un soupir et me tend sa bougie. Il se lève en déployant sa taille de géant, ramasse son bagage et s'en va sans se retourner.
Je range les pions dans leurs pots de bois. Ils crissent sous mes doigts. Je suis seule, avec mes soldats, mon orgueil rassasié. Aujourd'hui, je fête ma centième victoire." (Folio - p.9-10) Mandchourie, années 30. Sur la place des Mille Vents s'affrontent les joueurs de go. Parmi eux, la joueuse de go, une adolescente de seize ans qui, extrêmement habile, bat tous ses adversaires. Un jour, un jeune homme s'assoit face à elle : ils commencent une partie. Elle ignore qui il est et, à vrai dire, cela ne l'intéresse guère de prime abord : elle vit sa vie quelque peu insouciante malgré l'invasion japonaise découvrant l'amour dans les bras de Min, un jeune révolutionnaire qui ne rêve que de chasser les Japonais hors de Chine.
Elle ignore donc que son jeune adversaire est un espion japonais qui a été élevé dans le respect des traditions de son pays, aussi rigides soient-elles. Militaire, il est devenu un homme dur et est persuadé que son pays est dans son droit dans sa conquête de nouveaux territoires : "La légende dit que le Japon est une île flottante posée sur le dos d'un poisson-chat dont le mouvement provoque des tremblements de terre. Je tentais de me représenter la forme monstrueuse de ce félin aquatique. [...] Faute de pouvoir tuer le dieu, il nous fallait donner l'assaut au continent. La Chine, infinie et stable, était à portée de main. C'est là que nous assurerons l'avenir de nos enfants." (Folio poche - p.78) Son sens de l'honneur exacerbé ne l'empêche pourtant pas de trouver du réconfort auprès des prostituées, "âmes soeurs des militaires". C'est un excellent joueur de go et leur affrontement va, peu à peu, et alors qu'aucune parole n'est prononcée, évoluer vers un sentiment plus tendre...

Il émane des livres d'auteurs d'Asie de l'Est une légèreté mêlée à une étrangeté (pour l'occidentale que je suis) qui me frappent presque systématiquement. A chaque lecture (ou presque), j'ai l'impression de voir les personnages à travers une brume, je n'arrive pas à réellement savoir ce qu'ils pensent et ils m'échappent. Et ce livre ne fait pas exception. Certes, j'ai trouvé les personnages du soldat japonais et de la joueuse de go attachants mais il m'a été si difficile de les comprendre, voire impossible parfois (comment pourrais-je accepter l'idée que la mort vaut cent fois mieux que le déshonneur ?) que je n'ai malheureusement pas réussi à adhérer à leur histoire d'amour, d'ailleurs, elle est si suggérée que je n'y ai pas vraiment cru...

Ceci étant dit, le roman est tout de même assez agréable à lire : le style de l'auteur, bien que simple et un peu télégraphique, est très souvent poétique. La narration alternée entre les deux personnages principaux (pour un chapitre de la joueuse de go, un chapitre du soldat japonais) paraît assez étrange au début mais dès que les deux protagonistes se rencontrent, le confrontation des points de vue devient très intéressante.

Par ailleurs, j'ai apprécié cette incursion, l'espace de quelques heures de lecture, dans l'Histoire chinoise que je ne connais que très peu. L'affrontement des adversaires du go est d'ailleurs une très belle métaphore de la réalité historique du pays. Ainsi, alors que le Japon envahit la Chine, la joueuse de go et le soldat japonais placent tour à tour leurs pierres tentant ainsi de contrôler le territoire de leur adversaire en encerclant les soldats adverses pour les faire prisonniers...

Morceau choisi :
"Je ne me suis jamais demandé qui était mon adversaire. Les hommes assis là, à votre place, se confondaient, et seules leurs figures de go se distinguaient les unes des autres. Hier, je vous ai vu pour la première fois sur cette colline. A travers vos yeux, j'ai connu le pays de votre origine : sur une terre recouverte de neige éternelle, les arbres brûlent et les flammes s'épanouissent dans le vent. L'ardeur de la neige et du feu a fait de vous un magicien errant. Vous guérissez les êtres en comprimant leurs mains dans les vôtres. Vous leur faites oublier le froid, la famine, la maladie et la guerre." (Folio poche - p.298)

Intéressant pour le contexte historique mais un peu trop éloigné de moi ! ;-)

Plaisir de lecture :

Comments

[Lounima]

@Anjelica : Ceci étant dit, je ne renonce pas à lire des auteurs asiatiques pour autant et continue ma découverte de la littérature asiatique... ;-)

[anjelica]

je comprends tout à fait cet éloignement de culture qui met de la distance, c'est juste que pour moi, cela ne m'a pas gêné, justement c'est ce qui m'a plu.

[Lounima]

@Anjelica : Comme je l'évoquais dans mon avis, ce livre est beaucoup trop éloigné de mon "référentiel" occidentalisé pour que j'apprécie pleinement mais je lui reconnais un intérêt certain. ;-)

[anjelica]

pour ma part, j'ai lu ce roman, il y a bien longtemps et j'avais adoré !!!

[Lounima]

@Liliba : Je ne rechigne pas au dépaysement, au contraire, même. Mais, là plus que le dépaysement, c'est l'atmosphère qui ne m'a pas convenue... ;-)